Change, change moi Brama ! Air en sol majeur pour soprano avec accompagnement de piano ou de harpe.
Article de Michel Rouch sur l’ Air apocryphe Change, change moi Brama !
Change, change moi Brama !
Air en sol majeur pour soprano avec accompagnement de piano ou de harpe.
En 1978, en annexe de son étude sur les œuvres de Beethoven présentes en Tchécoslovaquie (Frühdrucke und Handschriften von Werken Beethovens in den Musikarchiven der E[eská] S[ocialistická] R[epublika]), Oldoich Pulkert relevait celles qui étaient absentes du catalogue Kinsky-Halm de 1955. Figurait en première place un chant apocryphe en français, avec piano ou harpe, publié à Londres mais découvert à Brno, en Moravie :
Change, change moi Brama !
AIR DE BEETHOVEN,
chanté par Melle Jenny Vertpré – dans
LA CHATTE MÉTAMORPHOSÉE EN FEMME,
Accompagnement par M. L. Jadin.
Price 1/6. | London, Printed & Sold by Birchall C°. 140, New Bond Street.
Cette partition date de septembre 1829, mais l’édition originale était parue en France en juillet 1827 :
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LA CHATTE MÉTAMORPHOSÉE EN FEMME |
(Nota.) Le chant de cet air a été Composé par Mr Mélesville, sur une suite d’accords
formant le carillon de St Petersbourg, attribué à Bethowen. [sic] À Paris, au Magasin de Musique de J. FREY, Place des Victoires N° 8. |
Seul le musicologue Julien Tiersot, en 1902, avait parlé d’un air de Beethoven, appelé Patria, sur un poème de Victor Hugo (1802-1885), avouant d’ailleurs son ignorance à son sujet. Anatole Loquin, président de l’Académie des Sciences de Bordeaux, lui avait alors communiqué la source ci-dessus, et l’histoire en était restée là, oubliant l’origine véritable. Que voici.
De fait, cet air français pour soprano est apparu pour la première fois dans La chatte métamorphosée en femme, folie-vaudeville en un acte d’Eugène Scribe (1791-1861) et Anne-Honoré-Joseph Duveyrier dit Mélesville (1787-1865), représentée au Théâtre de Madame (ancien Gymnase-Dramatique), par les Comédiens ordinaires du Roi, le 3 mars 1827. L’argument est tiré d’une fable antique d’Ésope, Γαλ? κα? ?φροδ?τη (La Chatte et Aphrodite) reprise par Jean de La Fontaine en 1668 [Livre II, 18] : Guido, un jeune homme épris d’une chatte, obtient par sortilège qu’elle se transforme en femme ; mais la belle croque la première souris qui passe ! Autant rester ce que l’on est.
Dans ce vaudeville, 16 pièces musicales ponctuent les 14 scènes de l’acte : des refrains populaires pour la plupart, mais aussi un Air de Be[e]thowen (chanté deux fois) et un de Weber. Il n’est pas inutile de savoir que, le 24 janvier 1827, le comte Anton Apponyi, nouvel ambassadeur d’Autriche, donna à Paris une grande réception qui fit beaucoup de bruit – et des remous. Son père avait été un inconditionnel de Beethoven (il avait, en 1795, souscrit à six exemplaires de ses Trios [Op. 1])… Alors, Beethoven dans La Chatte métamorphosée en Femme, ce n’est pas seulement la reconnaissance d’une célébrité, c’est également un clin d’œil… diplomatique.
Scène VI, après une formule magique, la Chatte Minette devient femme ! Mélesville lui fait raconter ses multiples vies antérieures, après qu’elle fut une agreste et jolie marguerite, calquant ses lyriques couplets sur ce qu’il dit être un Air de Beethowen [sic] :
Change, change-moi, Brama !
» Brama !
» – Sois satisfaite, »
Répondit Brama,
Et crac, voilà
Qu’en alouette
Il me changea.
Soudain quittant le sol,
Dans l’air je prends mon vol,
Imitant les bémols
Des rossignols….
Mais un jour, au miroir,
Le désir de me voir
Me fit prendre aux filets….
Et je disais :
« Change, change-moi, Brama !
» Brama ! »
Quelle merveille !
Tout à coup Brama,
Qui m’exauça
En une abeille
Me changea. [sic]
Ah ! quel heureux destin !
Cueillir chaque matin,
Sur la rose et le thym,
Nouveau butin….
Mais les fleurs, le printems
Par malheur n’ont qu’un tems…
L’hiver, je m’ennuyais,
Et je disais :
« Change, change-moi, Brama !
» Brama !
» Oui, je m’en flatte,
» Ton cœur m’entendra… »
Soudain, voilà
Qu’en jeune chatte
Il me changea.
De moi l’on raffolait,
Chacun me cajolait…
Toujours du pain mollet
Et du bon lait…
Mais les chats ont, dit-on,
Le naturel félon.
Pour eux j’en rougissais,
Et je disais :
« Change, change-moi,
» Brama, de toi
» Mon cœur réclame
» Cette faveur-là. »
Soudain, voilà
Qu’en une femme
Il me changea !..
Évidemment, la demoiselle n’est que la cousine de Guido qui a enfermé la malheureuse bête dans une armoire pour approcher l’amour étouffé de son enfance. Au final, l’accorte Minette n’a plus de griffes et emporte l’indulgence de l’assistance en reprenant son Air de Bethowen [sic] sur de nouveaux couplets repris en chœur par toute la troupe :
Change, change, change qui voudra
Sa destinée,
Mon sort le voilà
Fixé toujours
(Prenant la main de Guido.)
Par l’hyménée
Et les amours.
(Au public.)
Mes défauts sont si grands
Que Brama, je le sens,
Ne peut me corriger,
Ni me changer.
Mais si vous voulez bien,
Je connais un moyen,
Qui, plus sûr que le sien,
Ne coûte rien…
Changez, changez-vous
En un parterre
Peu sévère,
Changez, changez-vous,
Messieurs, pour nous,
En un parterre
Aimable et doux.
TOUS EN CHŒUR.
Changez, changez-vous
En un parterre, etc.
Rideau.
Le succès est immédiat, grâce essentiellement à la petite et malicieuse soprano Jenny Vertpré. Le livret de la folie-vaudeville est publié aussitôt à Paris, chez Pollet (36, rue du Temple), l’éditeur exclusif de Scribe (l’autorisation de paraître date du 22 février 1827) ; puis à Bruxelles, deux fois la même année, chez Grignon et chez L. Dumont, sous des formats différents.
Autre preuve plus évidente encore de succès : alors qu’à l’ordinaire les amateurs de musique doivent se renseigner directement auprès du Théâtre de Madame pour obtenir copie, l’Air de Beethowen est édité à part, dès juillet 1827, chez Jacques-Joseph Frey (8, place des Victoires).
L’auteur de l’accompagnement, Louis[-Emmanuel] Jadin (1768-1853), compositeur, violoniste et pianiste, est alors gouverneur des pages de la Musique du Roi. Nombre d’airs patriotiques révolutionnaires sont de sa plume et son catalogue est impressionnant : quelque quarante opéras, des symphonies, des quatuors, des trios, des sonates, quatorze recueils d’airs et romances, etc. Pour suppléer Beethoven, Mélesville ne s’est pas offert le concours du premier venu !
Comme pour ajouter à la popularité de la mélodie, elle est reprise, accompagnée à la guitare, dans une adaptation de Guillaume-Pierre-Antoine Véronèse dit Gatayes (1774-1846). L’artiste est alors célèbre ; mais si la Bibliographie de la France n° 61 du 1er août 1827 annonce sous le numA©ro 250, la publication de cette réduction, la partition paraît introuvable en France :
La Chatte métamorphosée en femme, [chanson pour guitare, par Gatayes]. – À Paris, chez Frey.
Par contre, on la trouve en Suède ! Un document accessible à Stockholm montre que le guitariste fait aussi référence à Bethoven [sic] :
LA CHATTE MÉTAMORPHOSÉE EN FEMME | AIR DE BETHOVEN | Chanté par Mlle Jenny Vertpré | Paroles de MM. SCRIBE et MÉLESVILLE | Accompagnement de Guitare par GATAYES | À Paris chez J. FREY Place des Victoires N.° 8. [J. Frey JF]
Courant juin 1828, en Angleterre, The London Magazine n° 37/III rend compte d’une représentation de la folie-vaudeville donnée à Londres le 24 mai, en français, avec Mlle Jenny Vertpré en Femme-Chatte. La comédienne fait sensation ; son air principal également. C’est pourquoi il est publié chez Birchall, en septembre 1829, partition dont Pulkert découvrira un exemplaire à Brno, un siècle et demi plus tard !
Cueilli dans l’invérifiable exotisme russe, le timbre provient d’un air populaire connu en Grande-Bretagne dès 1810 sous le titre The Bells of St Petersburgh dans lequel on retrouve d’ailleurs deux motifs ukrainiens . John Parry et William Gardiner l’ont utilisé. Mais il n’est devenu vraiment universellement célèbre que grâce au génie de deux Irlandais, le poète Thomas Moore (1779-1852) et le compositeur John Stevenson (1761-1833) qui ont créé Those Ev’ning Bells (Ces Cloches du Soir). La chanson a été publiée à Londres, le 23 avril 1818, chez James Power [356], dans A Selection of Popular National Airs with Symphonies and Accompaniments, p.19 :
Those evening bells Those ev’ning bells, those ev’ning bells, , Those joyous hours are past away, And so ‘twill be, when I am gone, |
Ces cloches du soir Ces cloches du soir, ces cloches du soir, Ces heures joyeuses se sont enfuies, Ainsi en sera-t-il, quand je serai parti ; |
Malgré le succès certain du recueil, de sérieux revers financiers ont obligé son auteur à s’expatrier à Paris quelques temps, entre 1818 et 1822 ;
Mélesville l’aura entendu certainement chanter cet air, sans aller en Russie, car Thomas Moore est excellent chanteur. Tout au long du 19e siècle, et jusqu’en Australie, la chanson sera constamment rééditée :
Dès lors, la mélodie va suivre sa destinée jusqu’à nos jours, arrangée, variée, en anglais, en allemand (Die Abendglocken), en russe (Vetchernij zvon), en espéranto (Sonoriloj di Vespero)… On l’a dite, selon les endroits, tantôt anonyme, tantôt russe, tantôt irlandaise ou anglaise, tantôt de Beethoven !
C’est surtout en Russie que son sort est curieux : la chanson originale irlandaise perd rapidement son texte au profit d’un remarquable poème d’Ivan Ivanovitch Kozlov , poète qui réside à Saint-Pétersbourg. Publiée en 1827, (Vetchernij zvon / Cloches du soir), n’est autre que la traduction de Those Evening Bells, traduction si parfaitement réussie (supérieure à l’original, dit-on), qu’on en a presque oublié Thomas Moore et qu’elle y poursuit sa vie propre, sur une musique populaire russe toujours en vogue, totalement différente !
En France, en novembre 1827, le Motif de Beethoven de la folie-vaudeville donne naissance à une chansonnette de H. T. Poisson [Charles de Warwille] et Édouard Bruguière (1793-1863)
: Jeune bergère, espère ! Bruguière l’a arrangée en duo pour soprano et ténor, cependant que Joseph Meissonnier (c. 1790-c. 1855) l’a dotée d’un accompagnement pour guitare et l’a éditée.
Espère !
Ton tour viendra : (bis)
Tu sais charmer et plaire,
Bientôt, ma chère,
On t’aimera.
L’air de Brama trouve rapidement sa place dans une vingtaine d’autres vaudevilles qui s’échelonnent sur une quarantaine d’années ; le plus souvent, on le dit simplement provenir de La Chatte métamorphosée en Femme… Il n’est qu’une seule fois attribué à Beethoven, dans :
Frétillon, ou La bonne Fille (Masson & Dumanoir – 23 août 1829 – Paris, Théâtre des Variétés)
Après Mélesville et Jadin, après Bruguière et Meissonnier, il faudra presque cinq ans pour que la mélodie, connue en France sous le nom de Beethoven, transmette l’ébouriffante nouvelle hors frontières, par l’intermédiaire d’authentiques compositeurs et de leur éditeur londonien Thomas D’Almaine :
1834. – Heinrich Herz (1803-1888), y publie ses Récréations musicales, a selection of popular Melodies and National Airs, parues en août 1833 en quatre Suites, à Paris, Mayence et Anvers, sous-titrées en français : Rondeaux, Variations, Fantaisies pour le Piano-Forte sur Vingt-quatre Thêmes favoris. La cinquième livraison contient cet Air favori de Beethoven, rondo suivi de deux variations.
Ce Viennois, enseignant, pianiste et compositeur, disciple de Moscheles, est passé par le Conservatoire de Paris et a participé aux Variations Hexameron. Grand voyageur et grand artiste, il parcourra l’Europe, l’Amérique du Sud, les U. S. A., la Russie… Ses Récréations musicales connaissent un succès considérable.
En 1835. – En janvier, Théodore Labarre (1805-1870) célèbre harpiste qui séjourne plus souvent à Londres qu’à Paris. Ccommunique aussi au monde anglophone et gremanique la source beethovénienne du Favorite Air sur lequel il a composé ses deux Variations pour la harpe. Il est intéressant de constater l’anonymat de cet air : parisien, Labarre oublie Brama ; londonien, il ignore Thomas Moore ; artiste, il retient Beethoven !
Il n’est pas le seul : Charles-Philippe Lafont (1781-1839), qui a souvent suivi Henri Herz en tournée, varie l’Air favori de Beethoven pour le violon ; Jean-Louis Tulou (1786-1865) pour la flûte [Opus 65] ; et l’italien Matteo Carcassi (1792-1853) pour la guitare [Opus 54 n° 15], mais sans citer Beethoven.
Comme John Parry, William Gardiner et John Andrew Stevenson, d’autres s’étaient déjà intéressés aux Cloches de Saint-Pétersbourg et au poème de Thomas Moore : Charles de Boigelet (1821), Ferdinand Ries (1822), George Kiallmark (1823), Josef Gelinek (c. 1825), E. Solis (c. 1830), Nicolas-Charles Bochsa (c. 1831), Carl Czerny (1839)… Mais dès lors, quelques compositeurs anglophones adopteront cette paternité beethovénienne inespérée, sans en oublier pour autant le poète irlandais. :1841. – Un inconnu publie chez l’éditeur de Labarre, dans “The Musical Bijou, an Album of Music and Poetry for MDCCCXLI” de F. H. Burney, sous le numéro 33, un Duo pour voix et piano sur un poème de D. Ryan, proche de l’inspiration de T. Moore:
Sweet hour of eve ! sweet hour of eve !
Oh ever thus around me weave
Thy lights and shades that blending twine
To make this earth and heav’n divine.
Thy one lone star with tearful ray,
Recalls us many a joyous day,
And mem’ry fills the thoughtful eye,
As twilight meets thy dewy sky.
Sweet hour! when life draws near its close,
May all our shades be dear as those,
And death as calm our hopes receive,
As night thy beams, Sweet hour of eve !
1844. – Thomas Bloomer Phipps (1796-1849) arrange pour piano à 4 mains les Irish Melodies et les National Airs de Thomas Moore ; en particulier :
On voit ressurgir le thème de Brama le 11 août 1845, à l’Académie royale de Musique de Paris, dans un ballet pantomime en deux actes d’Adolphe Adam (1803-1856), sur un livret d’Adolphe de Leuven [de Ribbing] et Joseph Mazilier publié chez Madame Veuve Jonas : Le Diable à Quatre.
On y retrouve le merveilleux d’Ésope et la magie de La Fontaine quoique, ici, la source théâtrale soit anglaise, – une farce fort célèbre de Thomas Jevon et Thomas Shadwell, trois actes mêlés de treize morceaux de musique, The Devil of a Wife or A Comical Transformation (1686, London, Queen’s Theatre in Dorset Garden), déjà copiée une douzaine de fois en Angleterre (The Devil to Pay ; or The Wives Metamotphos’d , 1731), en Allemagne, en Autriche, en France, en Italie et en Russie !
Adolphe Adam, ami de Victor et Adèle Hugo, n’a donc pas eu loin à chercher son inspiration. Comme dans la Chatte métamorphosée en Femme, il y a sortilège dans son œuvre, mais sans anthropomorphisme ; et le fond en est tout différent : dans le ballad opera anglais, l’opéra-comique et le ballet français, la métamorphose est une punition salutaire qui rachète les personnages, alors que chez Ésope, La Fontaine et Scribe, elle s’avère inutile, le naturel revenant au galop… Argument du ballet Le Diable à Quatre :
Ici, un vieux violoneux aveugle, mais magicien, bousculé par une agressive comtesse polonaise, est secouru par Mazourka (la ballerine Carlotta Grisi), l’adorable femme d’un ivrogne vannier. En punition et récompense, il use d’un tour de magie : d’un geste, une lourde torpeur tombe sur le plateau.
ACTE I, SCÈNE XII. – […] Soudain s’opère une double métamorphose.
Mazourka se couvre des brillants vêtements de la comtesse, et celle-ci des pauvres habits de Mazourka.
Les Diables ont envahi le pavillon ; ils soulèvent la Comtesse endormie et la transportent dans la cabane, pendant que les Génies se sont emparés de Mazourka, qu’ils déposent sur le divan, dans le riche pavillon du château.
Voilà donc la comtesse étendue sur une paillasse, à quelques pas de Mazourki avachi sur sa table, ronflant comme un chantre au milieu des bouteilles, loin de sa Mazourka. Adolphe Adam profite judicieusement de cette transformation, au terme du Finale, pour faire jouer en mi majeur à l’orchestre le fameux thème de Mélesville(Acte 1. Scène 12e. [BNF / Ms 2634]) :
Toute la féerie qui termine l’acte, est accompagnée par un solo de violon soutenu par les harpes, et la substitution des deux femmes est parfaitement expliquée par ce délicieux motif de Beethoven qui fut d’abord employé au Gymnase dans la Chatte métamorphosée en femme, avec ces paroles : Change, change-moi, Brama. (Léon Escudier : La France Musicale n° 33 – 17 août 1845) Cet Air de Minette va paraître aussitôt, sous forme de Grande Valse, dite « La Brillante », à Paris, au Bureau Central de Musique, et l’an prochain à Londres chez Jullien, dans une réduction pour piano de Jacques Herz (1794-1880), frère aîné d’Henri :
Grâce au magicien, le dénouement sera heureux, chacun retrouvant d’un baiser sa chacune et s’étant tour à tour promis attention et obéissance, sobriété et retenue. Le ballet aura chaque fois, un immense succès. Doublé au théâtre : deux mois plus tard, Adolphe de Leuven, Brunswick [Léon Lhérie] et Paul Siraudin en font un vaudeville en trois actes, Le Diable à quatre, représenté au théâtre des Variétés dès le 13 octobre 1845 et publié la même année dans La France dramatique au dix-neuvième siècle, chez C. Tresse, le successeur de Barba & Bezou. Victor Hugo y assiste très certainement, comme le laissera deviner Saint-Saëns !
Le ballet est ensuite repris à Berlin ; puis à Londres sous le titre de sa source anglaise de 1731, The Devil to Pay, le rôle de Mazourka étant cette fois tenu par Mademoiselle Flora Fabbri, première danseuse de l’Académie royale. Au cours de l’année 1846, à Moscou, la chorégraphe et ballerine russe Yekaterina Alexandrovna Sankovskaya le produit au Bolchoï sous le titre : La Femme capricieuse, ou Sumburschitsa. Elle s’y réserve le rôle grincheux principal…
Le ballet franchit l’Atlantique : la troupe Hippolyte Monplaisir le danse le 18 juillet 1848 au théâtre de Broadway, avec Madame Adèle Monplaisir elle-même en Mazourka. Et en 1850, à Saint-Pétersbourg, le chorégraphe français Jules Perrot reprend au théâtre Bolchoï Kamenny la Femme capricieuse … Partout et chaque fois résonne, en fin de premier acte, la mélodie « de Beethoven » : Change, change-moi, Brama !
Elle a même déjà fait le tour de la Terre ! Par un bien flou concours de circonstances extraordinaires, et sans dire par quels détours, l’air Brama a dépassé l’Amérique et vogué seul jusqu’à l’ancienne Nouvelle-Cythère, Tahiti, dont la reine Aïmata Pomaré IV (1813-1877) a défrayé la chronique durant plusieurs années, sur fond de querelles religieuses. Poussée par son guide spirituel protestant George Pritchard, consul d’Angleterre, la reine avait refusé que prêchent dans ses états deux missionnaires catholiques français. En représailles, Louis-Philippe avait alors placé Tahiti sous protectorat, forçant, en mars 1844, Sa Majesté Pomaré IV à s’exiler à Raiatea, « l’Île sacrée » des îles Sous-le-Vent. En décembre 1846, grâce à l’amiral gouverneur Bruat, la paix avait mis fin aux révoltes indigènes ; le 6 février 1847, à Mooréa, la reine était rétablie dans ses droits et le 9 elle débarquait à Papeete, saluée par les canons ! De nouveau souveraine, et exigeante, elle s’est rapidement dotée d’un hymne national. Quand exactement ? Mystère. Mais il est mentionné dans le récit d’une voyageuse faisant escale dans l’île en fin 1849 et début 1850. Ce récit sera relaté par Alexandre Dumas père en 1855 dans Marie Giovanni – Journal d’une Parisienne en voyage, livre rédigé à partir des notes de son éphémère collaboratrice Gabrielle Anna de Cisternes de Courtiras, vicomtesse de Saint-Mars dite Comtesse Dash (1804-1872). Ce serait elle qui fit avec son mari un voyage dans le Pacifique, de 1846 à 1850. Sous le nom de « Marie Giovanni », femme d’un négociant italien, elle détaille son entrevue avec la reine Pomaré : « Assise sur son fauteuil, elle recevait les députations, tandis que la musique française jouait l’air national du pays.
TaA-ti a un air national : Change-moi, Brahma ! Voici pourquoi. La reine Pomaré, voyant que les Anglais avaient le God save the king, que les Français avaient la Marseillaise, a voulu avoir son air national comme une vraie reine, et a pris, dans la Lampe merveilleuse, l’air sur lequel on chante ces paroles : Change-moi, Brahma ! Cet air lui suffit, et, comme il n’a pas de couleur politique, il est probable que, viennent les révolutions, il n’en restera pas moins l’air national de TaA-ti ».
Malgré l’absence de source officielle, il semble exact que la reine Pomaré, qui aime chanter et aura plus tard un piano, a profité du protectorat français et de son retour triomphal d’exil pour vite adopter un hymne personnel, pris parmi les airs célèbres de l’époque, chantés ou joués soit par la flotte ou la garnison, soit par des artistes de passage comme ce fut souvent le cas. Change-moi, Brahma ! est de ceux-là. Mais la vicomtesse de Saint-Mars aurait commis une erreur puisqu’il ne provient ni de La lampe merveilleuse, pièce féérie burlesque de Merle, Carmouche et *** [Boniface], ni de la source de celle-ci, La petite Lampe merveilleuse, opéra-comique de Scribe, Mélesville et Piccini, – deux œuvres de 1822. S’il n’y avait méprise, cela signifierait qu’à l’occasion d’une hypothétique reprise de l’une d’elles l’air Brama aurait été ajouté. Ce me semble fort peu probable.
[Cf. sur ce sujet, mon article : L’Hymne « national » dans la revue polynésienne « Archipol » n° 15 – Été 2014]
Après 1850, seul en France Victor Hugo n’oubliera pas l’air Brama de Beethoven ! Certes, cinq vaudevilles déjà mentionnés utiliseront la mélodie, mais sans le citer. Beaucoup de compositeurs broderont autour du Diable à Quatre ou de La Chatte métamorphosée en Femme récrite par Jacques Offenbach en 1858 ; en 1862, La Chatte merveilleuse, opéra-comique d’Albert Grisar sur un livret de Philippe Dumanoir [Pinel] et Adolphe d’Ennery s’y réfèrera en partie. Mais jamais le nom de Beethoven ne sera évoqué. La relève est prise par les pays anglophones !
1851. – George Alexander Osborne (1806-1893), irlandais de Limerick, commença ses études de musique en autodidacte avant d’entrer au service du prince de Chimay, en Belgique ; à son contact, il apprit à connaître Mozart, Hummel et Beethoven. Il acheva son apprentissage en France auprès de Pixis, Fétis et Kalkbrenner. Comme pianiste et compositeur, Berlioz l’apprécie sans réserve.
1856. – John W. Asquith (1829-1902), organiste et professeur de musique à Barnsley, arrange l’Air de Beethoven et lui ajoute un Final sur l’hymne national russe !
1863. – Henry Brinley Richards (1819-1885) fait précéder son arrangement par la première strophe du poème, sans en nommer l’auteur.
1863. – À la même demoiselle, il dédie également un arrangement pour piano à quatre mains de son œuvre exécuté par Bradbury Turner (1832-1897).
1867. – Après la mort de Thomas Moore en 1852, ses airs ont connu une recrudescence de popularité, celui-ci en particulier ; il est remarquable que plusieurs éditeurs publient la partition de 1818 en remplaçant sans sourciller Stevenson par Beethoven ! Un exemple, entre autres, très suivi :
1869. – L’organiste et compositeur anglais George Frederick West (1812 ?-1897 ?) se montre prudent quant à la paternité de la musique.
Venons-en maintenant au poète Victor Hugo dont la présence en filigrane depuis le début de cette étude a pu surprendre.
Pour tout un chacun, ces titres presque bicentenaires évoquent bien peu de chose. Certainement croit-on ignorer cet air de Brama. Pourtant, sans être ni musicologue ni musicien, quiconque le possède dans sa bibliothèque, pour peu qu’elle renferme un volume des Châtiments ! Victor Hugo, en effet, eut pour cette mélodie le même coup de foudre que la reine Pomaré. Il n’aimait pas la musique, dit-on ; mais il a, enfant, étudié le solfège, ses deux filles ont appris le piano, il a côtoyé Berlioz avec plaisir et Liszt lui a joué plusieurs fois, à sa demande, des œuvres de Beethoven ! Disons plutôt qu’il n’aimait pas les mauvais interprètes… Il possède le livret de 1827 de La Chatte métamorphosée en Femme et connaît l’air Brama. Auteur de théâtre, il est régulièrement invité aux galas de nouvel-an, en particulier par la soprano Jenny Vertpré, le 2 janvier 1833 : il y découvre sa future maîtresse, Juliette Drouet, chanteuse, pianiste et comédienne. Par les deux, mais surtout par cette dernière, il remarque cet air, au point qu’au sortir d’une soirée, le 10 janvier 1835, il en note les paroles, de mémoire [Ms. BN nouv. acquis. fr. 24. 787, f° 56] :
Change, change-moi, Brama, Brama
Sois satisfaite,
Répondit Brama
Et crac, voilà
Qu’en alouette
Il me changea !
Soudain quittant le sol [la terre | ma mère]
Dans / En l’air je prend [sic] mon vol
Imitant le bémol
Du rossignol.
Mais un jour au miroir
Le désir de me voir [en marge : voyelle féminine]
Me fit prendre aux filets
Et je disais :
En octobre 1845, au théâtre des Variétés, par amitié pour Adolphe Adam ou par l’attrait d’une des trois comédiennes, il assiste à une représentation du vaudeville Le Diable à Quatre et y entend à nouveau la mélodie de Brama. L’air que lui chanta Juliette lui revient en mémoire ; en décembre 1847, il parodie le titre du vaudeville dans Les Misérables (« La charte métamorphosée en flamme ») ; et vers 1851 en obtient la partition de la bibliothécaire du Conservatoire de Paris, sûrement celle de juillet 1827 (Jacques-Joseph Frey). Cette mélodie, Adèle, la fille de Victor Hugo, qui, à vingt-et-un ans, est compositrice, la lui chante et la lui joue au piano, si souvent et avec tant de plaisir partagé, que l’air devient le leur, et leur lien spirituel. Et, en exil à Jersey, abandonnant le rythme alerte du morceau, il compose Patria, en janvier 1853 :
Patria
|
Là-haut, qui sourit ? Cette figure en deuil
|
C’est l’ange du jour ; Bel ange, à ton miroir
|
C’est l’ange de nuit. Ainsi que nous voyons
|
C’est l’ange de Dieu.
Victor Hugo |
En octobre 1870, la ville de Sedan perdue, Napoléon III prisonnier, la République proclamée mais Paris assiégé, le poète revenu au pays publie Les Châtiments. Fait unique chez lui, il joint en annexe la mélodie de son poème, précédée de ce commentaire d’Hetzel, son éditeur : « Ce chant en l’honneur de la France a deux auteurs ; l’un français, pour les paroles, l’autre allemand, pour la musique ; symbole de cette sainte fraternité de la France et de l’Allemagne que les rois ne parviendront point à détruire. Voici l’admirable musique de Beethoven ».
À Paris, le monde musical paraît insensible à la muse hugolienne, même coiffée à la Beethoven. Seul, le belge César Franck, organiste de Sainte-Clothilde, réagit et, sur l’invitation expresse de son élève Henri Duparc, met en musique le poème : le samedi 6 mai, sur un thème original, il compose Patria, Ode patriotique en ré majeur pour voix et orchestre perdue) ainsi que sa réduction pour piano [CFF 159a].
Je ne sache pas qu’une autre fois le poème chanté Patria de Victor Hugo fût donné en public ou en privé dans le cercle du poète – ce qui dut arriver sûrement mais malheureusement plus par Adèle ; sa Dédé, sa chère fille, qui rentre de la Barbade le 12 février 1872 ne lui fera plus cette joie : elle a perdu en partie l’esprit et se voit bientôt interner.
À partir du 11 juin 1875, le théâtre de la Gaîté reprend la féerie de la Chatte blanche, en 24 tableaux, comme à sa recréation d’août 1869. C’est à cette période qu’apparemment est entendu pour la dernière fois sur scène l’air Change-moi Brama ! provenant de la Chatte métamorphosée en Femme de mars 1827. Popularités aidant, une fois musique et paroles dissociées, Offenbach a supplanté Beethoven, et Hugo Mélesville. Seul Hugo n’oublie pas Beethoven ! Saint-Saëns, perplexe, fait preuve autant de culture que de discernement. Avant 1876, organiste de la Madeleine, il écrit au poète, un 5 novembre :
Maître, Quel mystificateur a pu vous faire croire
1. que la musique de Patria était admirable
2. qu’elle était de Beethoven ?
Cela ressemble à du Beethoven comme l’Unitéide à la Légende des Siècles. Mais cela ressemble aux mélodies populaires anglaises ou irlandaises. Beethoven en a arrangé un certain nombre en les accompagnant d’un piano, d’un violon et d’un violoncelle ; j’ai pensé que l’erreur venait de là, j’ai cherché dans cette voie, je n’ai rien trouvé. […]
Bien que décontenancé, Hugo n’en démord pas :
Monsieur, […] la bibliothécaire du Conservatoire a envoyé l’air sur les paroles Patria extrait des œuvres de Beethoven.
Donc il est de Beethoven.
Mais, qu’il en soit ou non, je le trouve admirable. […]
Eugène Willent Bordogni, pour sa part, croit le grand homme sur parole ! En 1878, il publie à l’Orphéon parisien une œuvre qui vient d’être jouée par 6000 exécutants au Festival de la 3ème Réunion des Orphéonistes de France :
Son arrangement pour quatre voix d’hommes, sans accompagnement, paraît en même temps.
Qu’ajouter… Autant laisser la plume à Saint-Saëns lui-même (École buissonnière, Notes et Souvenirs) :
En 1881, on fit une souscription pour élever une statue à l’auteur de la Légende des Siècles, et déjà l’on parlait des fêtes projetées pour son inauguration, notamment d’une grande cérémonie au Trocadéro. Mon imagination s’échauffant à cette idée, j’écrivis l’Hymne à Victor Hugo. […]
Comme je voulais qu’il y eût dans mon hymne quelque chose de spécial à Victor Hugo et ne permettant pas de l’attribuer à un autre que lui, j’essayai d’y introduire le motif qu’il aimait ; et, au moyen des nombreux artifices que tout musicien possède dans son sac, j’arrivai à lui donner la forme et le caractère qui lui manquaient.
Ainsi, la musique de Mélesville devient enfin … beethovénienne.
Dans son premier récit, Saint-Saëns poursuit :
La souscription ne marchant pas assez vite au gré du Maître, il la fit arrêter. Je mis l’hymne dans un tiroir, attendant des temps meilleurs.
Sur ces entrefaites, M. Bruneau, père du compositeur bien connu, imagina d’organiser au Trocadéro des Concerts de Printemps. […]
Quelle plus belle occasion de faire entendre mon Hymne, écrite pour cette salle même du Trocadéro ! L’exécution en fut décidée, et l’on invita Victor Hugo à venir l’entendre.
Elle fut splendide ! Un orchestre immense, l’orgue magnifique, huit harpes, huit trompettes sonnant des fanfares dans la tribune de l’orgue, un chœur nombreux pour la péroraison, dont l’éclat fut tel qu’on l’a comparée au bouquet d’un feu d’artifice. L’accueil que le grand poète, qui paraissait rarement en public, reçut de la foule, l’ovation qui lui fut faite, dépassent toute description. Cet encens mêlé d’orgue, de harpes et de trompettes, nouveau pour lui, plut à sa narine olympienne :
« — Vous dînez avec moi ce soir » me dit-il.
Ainsi le poète et le compositeur deviennent-ils amis, définitivement. Nous sommes le 15 mai 1884…
22 mai 1885. – À Paris, Victor Hugo s’éteint. Olympio n’est plus. Les Muses pleurent avec le peuple. – Depuis, au hasard des héritages, des ventes, des dons ou des pertes, la brochure de la Chatte métamorphosée en Femme ainsi que la partition Change-moi, Brama ! ont bel et bien disparu de Hauteville-House et d’ailleurs…
Trois mois plus tard, sûrement en hommage au poète disparu, le compositeur Jules-Honoré Lasaïgues s’exclame sur Patria ! qui paraît chez Émile Chatot (Bibliographie de la France, n° 34, du 22 août, p.499). Mais l’œuvre n’utilise pas le thème Brama. En 1888, le compositeur organiste Félix-Alexandre Guilmant (1837-1911) transcrit l’œuvre de Saint-Saëns pour son instrument, mais je ne sais si elle est jouée en public.
26 février 1902. – Il faut attendre qu’on célèbre un peu partout le centenaire de la naissance du poète pour réentendre cet hymne, au Panthéon, dans le cadre des cérémonies officielles : de façon aussi grandiose qu’en 1884, il est interprété par les chœurs et l’orchestre du Conservatoire secondé par l’orchestre de la Garde républicaine, devant le petit-fils du poète, Georges Hugo ! Des quatre coins d’Europe et d’ailleurs, les colonies et alliances françaises soulignent par dépêche leur participation. À Alexandrie, en Égypte, Saint-Saëns dirige lui-même son Hymne à Victor Hugo !
Entre temps, à l’étranger, la chanson de Thomas Moore s’est essaimée un peu partout, jusqu’en Nouvelle-Zélande, la plupart des compositeurs se référant aux Cloches de Saint-Pétersbourg, russes ou pas : Saint George Baron le Poer Crozier, violoncelliste canadien (1846), Thomas J. Dipple (1847), un certain C. H. (1848), le jeune organiste anglais Francis Edward Bache, dix-neuf ans (1852), Philip Loraine (1856), Heinrich Kraeft (1861), Richard Frederick Harvey (1866), Joseph T. Stone (1872), un arrangeur anonyme, qui donne pour la première fois une source anglaise à la ballade (1873), la pianiste Jules [de] Sivrai [Jane Roeckel-Jackson] (1873), Jules Favre (1876), Henri F. Hemy (1876), J. W. Tidswell, qui la joue en fanfare (1877), R. Gaythorne (1878), William Michael Watson (1892), William Smyth Rockstro (c. 1895) ; d’autres, jusqu’à nos jours recomposeront le poème irlandais à leur guise, suivant leur propre inspiration… Deux partitions uniquement seront parues, en 1881 et 1894, liant encore la mélodie irlandaise à Beethoven :
En France, une dizaine d’années après la mort de Victor Hugo, tout aura sans doute été dit : plus aucun compositeur ne s’intéressera au chant de Brama / Patria, pour varier ou arranger la mélodie qu’il avait lui-même choisie.
Le poète s’était évidemment satisfait du chant de Mélesville et de son invocation à Brama. Mieux informé, peut-être eût-il pensé Patria autrement… Mais il était excusable ; on ne saurait tout avoir lu ou entendu ; Saint-Saëns lui-même n’a eu connaissance ni des Variations [Op. 108 n° 2] pour piano à quatre mains de Ferdinand Ries, ni des Variations [N° 60] de Josef Gelinek, ni du Rondino pour Pianoforte à 2 & 4 mains [Op. 561 n° 1] de Carl Czerny, œuvres de compositeurs pourtant fort renommés et proches de Beethoven. Eût-il parlé, sinon, de mélodie quelconque, de fâcheuse pilule, et de diamant faux ?…Preuve aussi que le plus illustre de nos poètes a montré une regrettable mais touchante et naïve confiance, dans un domaine qui ne lui était pas vraiment familier et vraiment pas essentiel à sa légende.
Il fallait un support musical à son poème vengeur ; qu’importait qu’il fût d’un faux Beethoven : le symbole était sauf, – jusqu’à ce que Saint-Saëns lui-même (« l’homme du monde entier qui sait le mieux la musique » disait Claude Debussy) rendît la méprise publique, dans ses livres École buissonnière et Au courant de la vie, en 1913 et 1914 ! Fâcheuses dates : ils passèrent alors presque inaperçus. Et hélas, depuis trente ans, le grand homme, bonapartiste, royaliste pair de France, républicain conservateur, député socialiste, sénateur, n’était plus…
Depuis, on a pu réentendre le thème de Brama. Le chorégraphe Marius Petipa a remonté le ballet d’Adolphe Adam… à Saint-Pétersbourg, en 1885, sous son ancien titre russe : La Fille capricieuse. En 1965, le ballet original intégral a enfin été enregistré par Richard Bonynge à la tête du London Symphony Orchestra [DECCA SXL 6188 & LONDON 6454] :
En 1997, il a même été recréé sur scène par le Jeune Ballet de France…
L’air Brama de Mélesville (et à plus forte raison la folie-vaudeville de Scribe) n’ont jamais été repris ; mais si la chanson Patria de Hugo et l’Hymne à Victor Hugo de Saint-Saëns n’ont plus été redonnés en concert au XXe siècle, l’une et l’autre ont cependant fait le bonheur d’une audition privée, le 15 décembre 2001, organisée par le Groupe Hugo à l’Université Paris-VII (2, place Jussieu), avant que ce siècle-ci n’eût deux ans…
– Patria [CFF 159a] de Franck vient enfin d’être enregistré par l’adorable soprano Catherine Dune avec l’excellent Jean Schils au piano pour la firme discographique Maguelone [MAG 111. 139] (publication par l’internet d’août 2005, le disque n’étant pas suffisant pour contenir toutes les mélodies du compositeur !). Rappelons toutefois que l’œuvre ne doit absolument rien à l’air de Mélesville.
L’Hymne à Victor Hugo, dans sa transcription pour orgue d’Alexandre Guilmant, a ensuite été interprété et enregistré, en septembre 2009, par Mathieu Freyburger, sur l’orgue Rinckenbach de Cernay [CALLIOPE 9753] :
Quant aux Cloches de Saint-Pétersbourg, on a pu en écouter le timbre, le 9 mai 1906, à Philadelphia, en Pennsylvanie, chanté par le ténor américain James McCool, avec orchestre (et cloches !) :
Those Evening Bells (Bells of St Petersburg), sur disque 78 tours 25 cm [VICTOR 4848 mx B-3374]. La musique de Stevenson subit ici l’arrangement d’un compositeur anonyme. En décembre de la même année, McCool reprendra pour Pathé Those Evening Bells, avec violon et cloches cette fois, sur cylindre 4-mn [EVERLASTING RECORD 23 – 4M1181].
(Audible sur http://www.loc.gov/jukebox/recordings/detail/id/8171)
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Et inutile de fouiller les catalogues, de courir les disquaires ou de surfer sur la toile : sauf déjà signalé, rien de tout ceci qui porterait de près ou de loin le nom de Beethoven, du cylindre au CD, n’a jamais été enregistré. À ma connaissance… Jusques à quand, Brahma !
Michel ROUCH |
Change, change moi Brama ! Air en sol majeur pour soprano avec accompagnement de piano ou de harpe.
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